Le 2020 apporte beaucoup de surprises dans le monde. Avec l’avènement de la covid-19, tous les gouvernements dans le monde ont été bouleversés, contraints de prendre des décisions qui n’étaient pas dans leurs priorités. Les collectivités territoriales ne sont pas exemptes de cette tribulation. Car un peu partout dans le monde les gestionnaires des échelons locaux de gouvernements ont confronté d’énormes difficultés financières. Et en Haïti, vu la faiblesse institutionnelle des finances publiques locales et d’autres évènements sociaux, les conséquences sont particulièrement dévastatrices pour les collectivités territoriales.
D’emblée, il faut préciser que les collectivités territoriales haïtiennes confrontent de grandes difficultés financières. La sous exploitation des ressources patrimoniales, la désuétude de certaines impôts et taxes locales et le manque de régularité des allocations de l’Etat ont contribué, chacun à façon, à créer un obstacle institutionnel que les collectivités territoriales ne parviennent pas encore à briser pour consolider leurs situations financières.
Selon le dernier état des recettes locales, datée de 2016 dans le document du Programme d’Amélioration des Finances Publiques Municipales (PRAFIPUM) du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MCT), les recettes globales des communes haïtiennes « […] ne totalisent qu’un (1) milliard 250 millions de gourdes environ » [1]. Et le pire, « […] 93% de ce montant soit 1 milliard 166 millions de gourdes sont collectés par seulement les 10 communes du pays (mairies) et les 130* autres ne disposent que de 7% de ces ressources soit seulement 83, 353,389.34 gourdes » [idem]. Ce qui ne manque pas de prouver à quel point les recettes locales sont déficitaires.
Au cours de ces quatre dernières années, la situation n’est certainement pas améliorée. Les instabilités politiques, surtout avec le dysfonctionnement quasi-total des administrations locales durant les évènements politiques récentes appelés « pays lock » et l’absence d’une politique au plus haut niveau de l’Etat pour aider les collectivités territoriales à se renforcer financièrement, la situation ne fait que compliquer davantage. Et c’est exactement le cas pour cette année où les collectivités territoriales étaient dans l’obligation de faire des dépenses imprévues dans une situation où les Agences Locales des Impôts (ALI) ne pouvaient plus collectées comme avant leurs maigres ressources.
Dans cette même veine, les troubles politiques locales liées au remplacement des maires élus par des Agents Intérimaires de l’Exécutif (AIE) n’ont pas manqué aussi de ralentir les recettes de certaines communes. Plus particulièrement, pour les communes de Gros-Mornes, Anse- Rouge et Petit-Goâve qui avaient recensés beaucoup de lourdes pertes sur plan matériel, la situation parait un peu plus difficile.
Il est, par ailleurs, important de noter qu’au cours de cette année, l’Etat a fait montre d’une négligence hors pair aux collectivités territoriales. Il est vrai que, pour les aider à combattre la covid-19, le gouvernement d’alors a octroyé une subvention aux mairies et aux associations départementales des élus locaux, mais le décaissement de la Contribution au Fonds de Gestion et de Développement des Collectivités Territoriales (CFGDCT) qui est la principale allocation de l’Etat aux collectivités territoriales n’a pas été régulier, et les autorités gouvernementaux ont encore du mal à appliquer les mesures d’extension de l’Arrêté Visant l’Optimisation de l’Utilisation des Revenues du Fonds de Gestion et de Développement des Collectivités Territoriales (FGDCT) Et à sa Soumission au Respect Strict des Lois qui le Régissent et de la Constitution, paru le 26 janvier 2017 dans le journal officiel le Moniteur [3].
Suivant ce sombre tableau des finances publiques locales, les fédérations des élus locaux doivent se concerter en vue de participer à côté des acteurs concernés pour renverser cette situation. Evoluant dans un Etat unitaire décentralisé, les collectivités territoriales haïtiennes ont légalement l’autonomie financière et administrative, mais non pas l’autonomie fiscale. Donc, ils partagent avec l’Etat la responsabilité politique vis-à-vis des défis qui ne cessent de ronger leurs ressources. Dans cette perspective, et pour redresser la situation, il est urgent que l’Etat initie un projet de réforme fiscale dans le pays et les collectivités territoriales, de leur côté, trouvent des moyens adéquats pour une exploitation optimale de leurs ressources internes, lesquelles représentent selon Jean Girardon [4] les plus importantes des ressources d’une collectivité territoriale parce qu’elles constituent le premier signe de son autonomie.
En somme, suite à un mouvement d’amaigrissement continu qui existe depuis plusieurs années, les finances publiques locales ont atteint, en 2020, le niveau le plus critique depuis la création du Fond de Gestion et de Développement des Collectivités Territoriales en 1996. Car en même temps que la prestation des mairies est déficitaire l’Etat a du mal à répondre à ses obligations. Certaines mairies du pays ont des arriérés de salaires entre 8 et 13 mois pour leurs employés pendant que d’autres végètent dans l’indulgence la plus critique qui soit. Et l’exemple le plus illustratif est celui de la commune de Liancourt qui ne peut même pas payer ses frais de loyer depuis deux ans.
Michelin Etienne
Références
- MICT : Programme d’Amélioration des Finances Publiques Municipales (PRAFIPUM), Port-au-Prince, 2016.
- Le moniteur : Arrêté Visant l’Optimisation de l’Utilisation des Revenues du Fonds de Gestion et de Développement des Collectivités Territoriales (FGDCT) Et à sa Soumission au Respect Strict des Lois qui le Régissent et de la Constitution, Port-au-Prince, spécial no 4, 26 janvier 2017.
- Voir Jean Girardon : les collectivités territoriales, Paris, les éditions Ellipses, 2014.